Les violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou verbales sont une réalité en milieu scolaire. Ces violences dont sont victimes les filles, n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, l’intérêt accordé à cette question est un fait qui marque surtout notre époque. Pour lutter contre le phénomène, l’Etat et des organisations de femmes notamment, le forum des femmes éducatrices au Burkina Faso (FAWE), ont porté la question au-devant de la scène afin d’endiguer le mal.
L’école étant un lieu d’apprentissage et d’éducation, la sécurité du monde éducatif, devrait y être garantie. En effet, des cas de violences faites aux filles sont constatés dans certains établissements scolaires de la ville de Ouagadougou. Interrogée sur la question, Ouédraogo Aline, élève en classe de deuxième année du certificat d’aptitude professionnel (CAP) en menuiserie, au lycée professionnel régional du centre, répond : « Souvent il y a des bandits qui viennent dans notre école et qui nous demandent ce qu’on possède. Si on leur dit qu’on n’a rien, ils fouillent les sacs pour voir ce qu’il y a dedans. S’ils trouvent nos outils de travail ou de l’argent, ils les emportent de force ».
Ces violences que subissent ces élèves, sont bien connues par le corps enseignant, en témoigne les propos de Jean Luc Béré, professeur au collège d’enseignement général de Pikiéko. Il affirme que « les violences faites aux filles en milieu scolaire portent un coup à l’engagement de la fille et sont un facteur d’exclusion qui entrave leur maintien dans le système éducatif». Il invite d’ailleurs le ministère de l’enseignement à plus d’égard sur la question, « surtout que le Burkina Faso s’est engagé en faveur de l’éducation pour tous », a conclu le prof.
En effet, par l’éducation pour tous, le Burkina ambitionne de rendre effectif et de façon spécifique la scolarisation de tous les enfants marginalisés, vulnérables, handicapés ou en difficulté sociale. Par ailleurs, le ministère de l’éducation nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales (MENAPLN) dispose depuis 2018 d’une stratégie nationale de développement de l’éducation inclusive (SNDEI). Cette stratégie veut faire de l’éducation pour tous une réalité au Burkina Faso. Dans un rapport de la coalition nationale pour l’éducation pour tous (CN-EPT/BF) paru en avril 2022, on note que « l’approche inclusive de l’éducation prend en considération tous les apprenants et se concentre sur ceux qui sont traditionnellement privés d’accès à l’éducation, tels les apprenants ayant des besoins spéciaux et des handicaps, les filles ainsi que ceux qui appartiennent à des minorités ethniques et linguistiques ».
La source du mal
La situation des filles victimes de violences a amené des organisations comme le forum des femmes éducatrices africaines au Burkina (FAWE) à s’intéresser à la question. Le FAWE, à travers l’approche de la pédagogie sensible au genre, contribue à la lutte contre les violences à l’égard des filles. Tout en essayant de donner les origines de ces violences, la présidente exécutive du FAWE Burkina, Tiemtoré Elisabeth, pointe du doigt la responsabilité collective de la société. Elle soutient que «l’école est en quelque sorte une représentation en miniature de la société. A l’école on a les enseignants, les parents d’élèves, les élèves eux-mêmes, etc. qui ont d’abord été éduqués en société sur les rôles respectifs assignés aux femmes et aux hommes. Par la suite, ce monde éducatif répercute cette éducation basée sur des préjugés au niveau scolaire ; d’où ces violences. Sinon, normalement l’école ne devrait pas être le lieu où l’on enregistre des violences à l’égard des filles ».
A l’entendre les formes et les manifestations de la violence envers la femme en général et des élèves filles en particulier, découlent historiquement des rôles sexospécifiques que les sociétés assignent aux femmes et aux hommes. «On a été éduqué comme ça. Toi tu es garçon donc, tu as des prérogatives, tu peux faire tout ce que tu veux. Alors que ta sœur doit rester au fin fond de la maison sans broncher. Et il en est de même au niveau de l’école. Pourtant si un jour on doit développer la nation, cela doit se faire avec la participation de tout le monde, hommes et femmes. » a-t-elle ajouté.
Bien qu’en reconnaissant que les filles ne sont pas les seules victimes, la présidente souligne que ces violences ont un impact énorme sur le cursus scolaire des filles. Les conséquences qui découlent de ces violences se traduisent par des échecs occasionnés par des abandons, des grossesses non désirées, de sévices corporels, etc. Pour Tiemtoré, cette situation « empêche les filles d’achever leurs études ». C’est fort de ce constat que le FAWE ambitionne, à travers sa politique d’intervention d’« amener les filles à se réaliser tout en souhaitant qu’elles poursuivent convenablement leurs études ». En outre, l’organisation estime que c’est ainsi que la fille pourra véritablement être utile à son pays plus tard.
Corriger cette « injustice », sans « distinction de sexes »
Selon le rapport de la biennale sur l’éducation en Afrique tenue à Libreville, au Gabon en 2006 organisée par le FAWE, les actes de violence à l’endroit des filles sont de nature psychologiques, verbales ou physiques et les auteurs sont issus la plupart du temps de l’encadrement. Le même document révèle que « les enseignants par exemple, ne sont souvent pas conscients des situations discriminatoires contre les filles ». Dans cette veine, la présidente exécutive de FAWE Burkina affirme qu’« il y a des enseignants, hommes et femmes qui ont des attitudes négatives envers les filles ». Dans ce sens, Ouédraogo Evrard professeur au lycée professionnel régional du centre dira :« On pense toujours bien faire en demandant aux filles de balayer ou décorer la classe et à l’opposé réserver des tâches comme remplir le sautoir de sable ou essuyer le tableau aux garçons ».
Pour corriger cette « injustice », sans « distinction des sexes », le FAWE emprunte la voie de la pédagogie sensible au genre. Selon Tiemtoré Elisabeth : « La pédagogie sensible au genre vise l’équité dans l’enseignement et fait fi des divisions sexistes du travail scolaire dans son application. C’est l’ensemble des attitudes, des comportements que l’enseignant doit adopter afin que les filles puissent donner le meilleur d’elles-mêmes en situation d’apprentissage. Il s’agit d’une démarche d’enseignement qui tient compte de la spécificité de chaque élève dans la construction du savoir. Elle part du principe que chaque élève est différent de l’autre et c’est à partir de cette différence que doit se dérouler l’acte pédagogique ».
La solution par la pédagogie sensible au genre
Par la pédagogie sensible au genre, l’enseignant est encouragé à éviter les comportements sexistes afin de sortir du poids des traditions et exercer sa mission correctement. Il s’agit entre autres de ne pas interroger de préférence les filles ou les garçons, ne pas confier des rôles sexo-spécifiques aux filles comme balayer la classe ou aller chercher de l’eau, ne pas faire asseoir les filles derrière au fond de la classe, ne pas attribuer aux filles des rôles traditionnels. A l’opposé, l’enseignant en classe est invité à employer un langage non sexiste tout en distribuant la parole autant aux filles qu’aux garçons, il doit encourager l’expression orale chez les filles et les garçons.
De même, l’enseignant devra avoir un comportement non sexiste, c’est-à-dire poser les questions à la fois aux filles et aux garçons. En plus, il doit constituer des groupes de travail mixtes et répartir sans discrimination les activités parascolaires. A ces différents aspects, s’ajoute l’intéressement à la science des filles. En effet, l’enseignant doit aussi bien inciter les filles que les garçons à s’intéresser aux disciplines scientifiques même si lui-même n’enseigne pas ces disciplines. L’enseignant doit encore prendre des exemples valorisant les filles et les garçons.
Selon son responsable, le FAWE est déjà en plein chantiers afin d’outiller davantage les enseignants sur cette pédagogie en organisant des ateliers de formation au profit des élèves professeurs et du personnel administratif de l’institut national de formation des personnels de l’éducation (INFPE) de Loumbila et l’institut des sciences (IDS) à Ouagadougou.
ENCADRE
[Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, ONU, 1993
La violence à l’égard des femmes se définit comme : « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privé ». La même déclaration signale que la violence à l’égard des femmes traduit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, lesquels ont abouti à « la domination et à la discrimination exercées par les premiers et freiné la promotion des secondes ».]
Edouard Ouédraogo