Depuis novembre 2021, 15 459 réfugiés maliens ont trouvé gite et couvert à Dori du fait des attaques récurrentes au camp de Goudébo, perpétrées par des Hommes armés non identifiés (HANI). Ainsi, ces derniers partagent le même espace de vie avec plus de 180 000 habitants issus de la population hôte et plus de 140 000 Personnes déplacées internes (PDI). Entre divagation des animaux et occupation des champs, le vivre-ensemble est magnifié pour une cohabitation pacifique à travers la culture et la tradition qui unissent ces communautés.
Dans la fraicheur installée par l’harma-ttan de cette fin d’année de 2022 à Dori, la communauté des réfugiés maliens ayant trouvé gite et couvert sur le sol sablonneux du quartier Wendou, secteur7, est déjà réveillée. Sous des tentes estampillées Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), certains réfugiés sont sur pied. Si certaines familles sont au petit déjeuner, d’autres par contre s’affairent déjà à d’autres tâches.
C’est dans cette ambiance que nous sommes arrivés dans la famille de Ag Bobaz Simaro, sur l’un des trois sites (Wendou 2) qui abritent les réfugiés maliens dans la capitale du Liptako. Originaire de Gossi dans la région de Tombouctou au Mali, Ag Bobaz Simaro a quitté sa patrie du fait de la crise militaro-politique qui y a éclaté en 2012.
Après avoir vécu pendant neuf ans au camp de réfugiés maliens de Goudébo, situé sur l’axe Dori-Gorom-Gorom, il a une nouvelle fois plier bagages pour rejoindre Dori avec sa famille. « Suite aux attaques des groupes armés, le camp s’est vidé. Chacun a pris ce qu’il pouvait. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés au quartier Wendou où les premiers réfugiés étaient déjà installés », raconte-t-il.
Face à l’insécurité grandissante au camp de Goudébo et dans leur quête de survie, les réfugiés maliens ont utilisé différents moyens de déplacement pour parcourir la quinzaine de kilomètres qui sépare leur camp de la ville de Dori. Ainsi, les plus nantis ont eu recours à des voitures et à des tricycles communément appelés « taxi-moto ».
Pour sa part, Ag Bobaz Simaro dit s’être servi d’une charrette à traction animale pour « évacuer » sa famille de dix membres dont huit enfants. Dans ce branle-bas, les pensionnaires du camp n’ont pas failli à leur tradition et leur culture d’éleveurs ou de pasteurs puisqu’ils ont amené leurs animaux à Dori. C’est d’ailleurs le cas de Ag Bobaz Simaro qui a pu rallier Dori avec ses neuf petits ruminants.
« Je fais du petit commerce de thé, de sucre et de savons. En plus, j’achète d’autres petits ruminants auprès de certains compatriotes ou des personnes issues de la population hôte que je revends au marché de bétail », relate-t-il à propos de son nouveau quotidien à Dori. Cependant, cette nouvelle vie de réfugié, doublée d’éleveur à Dori n’est pas sans accrocs.
La divagation des animaux, source de conflits
De l’avis du chef d’antenne de la Commission nationale pour les réfugiés (CONAREF) de Dori, Ben Oumar Tiemtoré, les réfugiés maliens qui sont pour la majorité des agro-pasteurs à l’instar des populations hôtes et des Personnes déplacées internes (PDI), font tous paitre leurs animaux dans les zones périphériques de Dori, partageant du coup, les mêmes points d’eau qui tarissent du jour au lendemain.
Il a en outre rappelé que les conflits entre les agriculteurs et les éleveurs dus à la divagation des animaux n’ont pas commencé avec l’arrivée des réfugiés maliens à Dori. Quant au préfet, par ailleurs Président de la délégation spéciale (PDS) de Dori, Abrahamané Mandé, il a renchéri en ces termes : « Les conflits relèvent de l’existence de l’Homme, et bien avant l’arrivée des PDI et des réfugiés maliens, la divagation des animaux engendrant des litiges, existait ».
A ce titre, M Tiemtoré de la CONAREF a reconnu que pendant les saisons d’hivernage, ses services rencontrent beaucoup de cas parce que la communauté refugiée n’a pas l’habitude d’attacher ses animaux à l’intérieur de leur habitat. Toujours enturbanné et bien connu dans la capitale du Liptako du fait qu’il gère une boutique au grand marché de la ville, le président du comité des sages des réfugiés maliens de Dori, Ag Ahmid Jarrou, confie que depuis leur arrivée, il a été confronté à quatre situations de conflits liés à la divagation des animaux.
A travers le dialogue, fait-il savoir, les parties en conflit se comprennent et règlent le problème à l’amiable. Pour Ag Bobaz Simaro, la plupart des réfugiés maliens se sont installés au quartier Wendou à proximité des champs des populations hôtes et des PDI. Cette situation a conduit ses animaux, dit-il, à dévaster des champs trois fois de suite. La première fois, a raconté Ag Bobaz, le propriétaire du champ, une PDI, pour exprimer sa colère et son mécontentement, a tué deux de mes chèvres.
Selon ses dires, il a fallu de peu pour qu’un conflit éclate, mais l’équipe de la CONRAREF a été saisie et les deux parties ont pu enterrer la hache de guerre. A en croire le chef d’antenne de la CONAREF de Dori, au tout début, lorsque les animaux des réfugiés maliens détruisaient des cultures, les propriétaires des champs les tuaient sans autre forme de procès et cela créait pas mal de litiges entre les deux communautés.
« Rapidement, nous avons procédé à des sensibilisations pour éviter une escalade de la violence. Avec les sensibilisations, une fois que des animaux d’un refugié malien dévastent le champ d’un agriculteur, qu’il soit de la population hôte ou déplacée, les animaux sont conduits auprès des membres du comité de gestion de la fourrière », indique M. Tiemtoré.
Le propriétaire des animaux est ainsi invité à payer une amende en fonction du nombre de ses animaux avant de les récupérer. A ce sujet, l’un des membres du comité de gestion de la fourrière de Wendou, au secteur7 de Dori, Amadou Dicko, explique leur méthode de travail. A l’entendre, selon les règles du comité, une personne, qu’elle soit de la communauté refugiée ou de la population hôte, qui a ses animaux conduits à la fourrière pour la toute première fois, ne débourse rien pour les récupérer.
Il a fait savoir que le comité saisi l’opportunité pour sensibiliser le mis en cause sur les méfaits de la divagation des animaux. En cas de récidive, insiste M. Dicko, la personne payera pour récupérer ses animaux. Malheureusement, ce fut le cas pour le natif de Gossi qui a dû s’acquitter de 2 000 F CFA auprès du comité à raison de 1000 F CFA par animal, après que ses animaux ont dévasté pour la deuxième fois un champ.
Quant à la troisième fois, c’est une chèvre et ses deux petits qui ont pénétré dans le champ d’une autre personne et là, il a payé 2 500 F CFA au comité de gestion de la fourrière pour les récupérer. Si les réfugiés maliens vivant à Dori sont sensibilisés, soutient Amadou Dicko, il en est de même pour les propriétaires des champs.
Pour ce faire, il a laissé entendre que ceux-ci sont exhortés à contenir leur colère lorsque les animaux d’autrui dévastent leurs cultures. « Nous leur demandons de ne pas blesser ou tuer les animaux et d’éviter d’en découdre directement avec leur propriétaire. Mais d’aviser immédiatement le comité de sorte qu’il puisse amener les animaux à la fourrière pour éviter toute violence », renseigne Amadou Dicko.
A l’instar du comité de gestion de la fourrière de Wendou, l’antenne de la CONAREF de Dori, par la voix de son premier responsable, a informé que des séances de sensibilisations
continues sont organisées à l’endroit des réfugiés maliens et des populations hôtes dans l’optique de faciliter la cohabitation pacifique entre ces deux communautés. C’est pourquoi, Amadou Dicko a confié que les lois qui sont appliquées aux réfugiés maliens sont aussi applicables aux populations hôtes en matière de gestion de la fourrière.
A cet effet, le PDS de Dori, Abrahamané Mandé, a révélé que la gestion de la fourrière relève des compétences de sa commune. « Par conséquent, la mise en place d’un comité de gestion de la fourrière requiert une autorisation de l’autorité communale. En clair, le travail de sensibilisation qui est fait sur le terrain par les différents comités est fortement encouragé », félicite M. Mandé.
« Une preuve de réconciliation »
A la fin des récoltes, nous apprend Ag Bobaz Simaro, le propriétaire du champ qui avait tué ses deux chèvres est venu chez lui à domicile lui remettre des épis de mil pour alimenter le reste de ses animaux. « Cela m’a beaucoup touché dans la mesure où ce fut une preuve de pardon et de réconciliation qui contribue à la cohabitation pacifique, au vivre-ensemble entre nos deux communautés », a-t-il fait remarquer.
Lorsqu’un conflit éclate, signifie M. Tiemtoré, la CONAREF implique les leaders de la communauté hôte et ceux des réfugiés pour la résolution. Abondant dans le même sens, M. Mandé a déclaré que les leaders religieux et coutumiers ainsi que la hiérarchie travaillent en synergie également à trouver des solutions aux crises qui surviennent. Cela, ajoute-t-il, grâce à l’esprit pacifique et de bonne cohabitation des populations hôtes.
Dans la même lancée, le représentant intérimaire du UNHCR au Burkina Faso, Maurice Azonankpo, a indiqué que dans le but de renforcer la cohésion sociale entre ces différentes communautés et surtout pour prévenir de potentiels conflits, il y a des mécanismes de règlements pacifiques des conflits qui sont développés et mis en œuvre. « Il s’agit essentiellement des comités mixtes composés à la fois de leaders des réfugiés maliens, des leaders des communautés hôtes et des leaders des PDI.
Ces comités ont pour tâches ,la résolution des conflits, la mise en œuvre d’initiatives et d’activités visant à d’abord consolider la cohésion sociale, la cohabitation pacifique entre ces trois communautés », persiste M. Azonankpo. De même, poursuit-il, ces comités mènent également des activités de sensibilisation vis-à-vis des membres des différentes communautés sur le vivre-ensemble.
Corroborant les propos de ses prédécesseurs, le président du comité des sages des réfugiés maliens de Dori a également signifié qu’en cas de situations de conflits, des solutions sont urgemment trouvées pour éviter que le problème ne prenne de l’ampleur dans le souci de préserver le vivre-ensemble et la cohésion sociale en vue d’aboutir à une cohabitation pacifique.
« Au cours de nos rencontres, j’invite mes compatriotes à entretenir de bons rapports avec le voisinage, toute chose qui contribue énormément à renforcer la coexistence pacifique » précise Ag Ahmid Jarrou. En dépit de tous ces mécanismes mis en œuvre et toutes les stratégies déployées par les différents acteurs, il existe des préoccupations au sein de la communauté hôte.
En plus de la divagation des animaux, Amadou Dicko du comité de gestion de la fourrière de Wendou, au secteur 7 de Dori, a soulevé un autre problème qui met souvent à mal la cohabitation pacifique au quartier Wendou de Dori. Selon lui, les réfugiés maliens et les PDI se sont installés sur les terres qui servent de champs aux populations hôtes. Qu’à cela ne tienne, il dit comprendre la situation des réfugiés maliens et des PDI.
Pour lui, les populations hôtes ont préféré mettre l’accent sur l’hospitalité parce qu’elles savent que ce n’est pas de gaité de cœur que ces réfugiés maliens et les PDI sont venus à Dori. « Nous savons que c’est le contexte sécuritaire difficile qui les a contraints à quitter le camp de Goudébou, raison pour laquelle, nous les avons accueillis sans problème », explique M. Dicko.
Excepté ces deux problèmes, avance-t-il avec un sourire, la cohabitation entre les populations hôtes et les réfugiés maliens se passe bien. « Il existe un grand respect entre les deux communautés qui ont en commun la culture, la langue, la religion entre autres », soutient-il.
Des infrastructures pour plus de 300 000 personnes
Après une vérification, le gouvernement burkinabè, à travers la CONAREF et le UNHCR, ont finalisé l’opération d’enregistrement des réfugiés et demandeurs d’asile maliens dans la région du Sahel à la date du 30 novembre 2022. Cette opération a permis de dénombrer 26 131 réfugiés maliens dans la région du Sahel dont 15 459 répartis dans 2 967 ménages à Dori. Hormis ces données, le PDS de Dori, Abrahamané Mandé, se basant sur les résultats du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2019, a révélé que sa commune compte 180 512 habitants.
Outre les réfugiés maliens et les populations autochtones, la commune avec ses 78 villages
et huit secteurs, abrite également plus de 147 414 PDI à la date du 31 mars 2023, selon les statistiques du Secrétariat permanent du conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (SP/CONASUR). Quand bien même, il existe par moment des conflits qui sont généralement maitrisés, les communautés partagent les mêmes ressources naturelles, les mêmes services sanitaires et éducatifs.
C’est en ce sens que M. Mandé a assuré qu’avec le soutien des différents partenaires techniques et financiers, la commune de Dori travaille à rapprocher les infrastructures éducatives, sanitaires et hydrauliques des populations, qu’elles soient hôtes ou déplacées ou encore réfugiées. « Particulièrement pour les infrastructures hydrauliques, nous envisa-geons réaliser des points d’eau dans les secteurs 1, 3 et 5 pour que les populations hôtes ne quittent pas ces zones pour aller à la recherche de l’eau, dans les périphéries où sont installés les DPI et les réfugiés maliens », argumente le préfet de Dori.
Sur le plan éducatif, il a ajouté qu’il est prévu la réalisation des infrastructures à Wendou et à la cité des Forces vives. Pour sa part, le représentant intérimaire de l’UNHCR au Burkina Faso, Maurice Azonankpo, a estimé que les interventions de l’organisme onusien visent avant tout à accompagner l’Etat burkinabè dans la mise en œuvre des obligations internationales.
C’est pourquoi, il a notifié que l’Etat est le premier responsable de la protection des réfugiés maliens sur le sol burkinabè. Pour ce faire, Maurice Azonankpo a confié que l’UNHCR intervient dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’accès à l’eau potable pour soutenir le Burkina Faso, à travers la réalisation d’infrastructures à Dori.
L’intégration sociale
Le brassage culturel a favorisé l’intégration sociale des réfugiés maliens dans la région du Sahel. En effet, Ben Oumar Tiemtoré a fait savoir qu’il existe des cas de mariages mixtes entre les Burkinabè et les réfugiés maliens et vice-versa. Pour le cas de Dori, a poursuivi le chef d’antenne de la CONAREF, ce sont généralement des mariages religieux célébrés à la mosquée.
C’est dans ce sens que la présidente des femmes réfugiées maliennes de Dori, Wallet Tajoudene Mariam, dit que l’intégration sociale des réfugiés maliens est une réalité parce qu’il y a des femmes réfugiées qui ont été épousées par des hommes Burkinabè. « Je suis mariée à un Burkinabè et je connais quatre autres compatriotes qui ont également trouvé leur âme sœur. Certains couples vivent à Dori et d’autres à Gorom-Gorom, chef-lieu de la province de l’Oudalan », témoigne-t-elle.
Le président des artisans réfugiés maliens de Dori, Ag Ousmane Abdoulahy, a également confié que depuis qu’il est dans la capitale du Liptako, c’est comme s’il est chez lui à Gao. « La plupart des réfugiés maliens sont intégrés dans la ville de Dori non seulement en exerçant des activités mais également à travers la culture, la langue ainsi que les us et coutumes qui sont identiques à celles des populations de Dori et partant du Sahel burkinabè », renchéri-t-il.
A la tête d’un groupe d’une trentaine d’artisans, ils travaillent le cuir, le bois, le fer, le cuivre et le bronze pour confectionner entre autres des chaussures, des porte-monnaie, des porte-clés, des bracelets, des chapeaux. Toute chose qui a motivé l’UNHCR à faciliter leur participation au Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO) et ce depuis 2015. Après avoir passé sept ans au camp de Mentao à Djibo, Assimi Dicko est arrivé à Dori en passant par celui de Goudebou.
Une fois dans la capitale du Liptako, il a débuté ses Activités génératrices de revenus (AGR) par la pratique du maraichage avant de se lancer dans la boucherie. Il dit avoir également une entreprise avec un numéro IFU et un registre de commerce qui lui permet d’offrir ses prestations à des ONG, associations et projets humanitaires en leur livrant des animaux. Concernant sa boucherie, il dit se frotter les mains.
« Le jour que le HCR organise une distribution de vivres aux réfugiés, il y a une affluence de la clientèle. Par jour, je peux avoir un bénéfice de 10 000 à 15 000 F CFA. Compte tenu de mes autres occupations, je travaille avec un jeune qui est également refugié que je rémunère quotidiennement à 1 500 F CFA », explique M. Dicko. En dix ans de vie passée au Burkina Faso, il souhaite avoir la nationalité burkinabè, si toutefois l’opportunité lui était offerte. En attendant de réaliser son rêve, il se sent à l’aise dans son pays d’accueil.
Souaibou NOMBRE
snombre29@yahoo.fr
46 676 réfugiés burkinabè au Mali et au Niger
La crise qui secoue le Burkina Faso depuis plusieurs années a créé de vastes mouvements de déplacements internes. Toutefois, certains pays voisins ont accueilli des ressortissants burkinabè sur leur territoire. La dégradation de la situation sécuritaire au pays des Hommes intègres, malgré les efforts consentis par le gouvernement pour endiguer le phénomène, continue de provoquer des mouvements de Burkinabè vers ces pays voisins.
Selon le représentant intérimaire de l’UNHCR au Burkina Faso, Maurice Azonankpo, à la date du 30 novembre 2022, il a été identifié et enregistré 24 527 et 22 149 réfugiés burkinabè et demandeurs d’asile, respectivement au Mali et au Niger. Ils sont accueillis par les communautés hôtes et vivent en parfaite harmonie avec celles-ci. Des informations nous parvenant de nos collègues du HCR de ces deux pays, a-t-il précisé, les réfugiés burkinabè y vivant, souhaitent que la situation sécuritaire s’améliore au Burkina Faso afin qu’ils puissent revenir sur la terre de leurs ancêtres dans la dignité et la sécurité.
S.N