Le viol des femmes est devenu une pratique courante des terroristes. En plus du traumatisme subi et du choix cornélien de garder ou non les grossesses qui en résultent, certaines femmes subissent des violences conjugales. D’autres sont répudiées au nom de la coutume. Alima, (nom d’emprunt), une jeune femme de 28 ans, pour avoir été violée par sept terroristes, a été séparée de ses quatre enfants puis chassée par la famille de son mari, absent. Abandonnée à son triste sort, l’infortunée a trouvé gîte et couverts chez une bonne samaritaine à Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord, à 100 km de Ouagadougou. Elle a accouchée d’une fille en décembre 2021, dans un grand désespoir.
Elle s’appelle Alima, elle a 28 ans. Mère de cinq enfants, elle est la première des trois épouses de son mari. Elle vit dans un village dans la province du Sanmatenga, région du Centre-Nord. Le polygame a fui les terroristes en début 2020 en les abandonnant au village. Alima se retrouve seule avec ses coépouses et leurs enfants. En début 2021, son village est attaqué par un groupe de terroristes, poussant toute la population à fuir pour se réfugier à Pissila distant de 14 km. Un mois après leur fuite, Alima et un groupe de femmes décident de repartir dans le village pour ramener quelques effets et de quoi survivre, en attendant l’aide humanitaire. Sur le chemin du retour, elles tombent sur un groupe de 15 terroristes armés. Alima et une autre femme ont été amenées dans des endroits séparés et violées chacune par sept hommes. « Ils ont déchiré mon pagne pour attacher mes jambes à des arbustes avant de me violer à tour de rôle », raconte Alima, le regard baissé au sol. Elle nous a livré ces témoignages dans la matinée du mardi 15 février 2022, à Kaya où elle a été accueillie dans une famille.
« Des moments terribles »
Elle explique que pendant qu’un homme la violait, les six autres avaient leurs armes braquées sur elle. « C’était des moments terribles pour moi », murmure-t-elle, les yeux larmoyants. Aucun des bourreaux n’a été sensible à ses supplications. Ses cris de détresse appelant à l’aide ne les ont pas arrêtés. « Tiens-toi tranquille, sinon nous allons te tuer. Ta vie ne vaut rien du tout à nos yeux », répondent-ils à ses supplications. Elle nous crie d’une voix hachée que ce qu’elle a subi était inhumain et d’une cruauté difficile à oublier.
La scène s’est déroulée sous l’œil d’un villageois qui était dans son champ et s’est caché dans un arbre à la vue des terroristes. Descendu de sa cachette, celui-ci va alerter le village et raconter ce qu’il a vu. Après son agression, Alima est abandonnée sur place toute ensanglantée. Après avoir retrouvé ses esprits, elle décide de poursuivre sa route pour Pissila. Craignant de nouvelles agressions d’autres terroristes, elle décide de rester dans le premier village rencontré pendant plus de trois mois.
Durant son séjour dans ce village, Alima soigne ses blessures à l’aide de décoctions. Elle n’est pas allée dans un centre de santé qui d’ailleurs n’existe plus, car les agents avaient quitté les lieux après avoir reçu une menace des terroristes. Après les trois mois, elle continue à Pissila où se trouve le reste de sa belle- famille.
Constatant des retards de ses règles, Alima se rend au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Pissila tout affolée. Le résultat est sans appel. « L’agent de santé m’a dit que j’étais enceinte alors que je n’avais plus eu de rapports sexuels avec mon mari absent depuis plus d’un an, encore moins avec un autre homme en dehors du viol », dit-elle d’une voix étrange comme si les propos de l’infirmier résonnaient toujours dans sa tête.
Répudiée par sa belle-famille
C’est en ce moment qu’elle a réalisé que l’auteur de sa grossesse ne peut être qu’un de ses agresseurs. Pour Alima, c’était comme une fin du monde. Elle fait alors part de sa volonté d’avorter. Mais c’était peine perdue. « Il m’a informé que c’était trop tard, parce que ma grossesse avait plus de trois mois, donc impossible de déclencher la procédure légale d’interruption volontaire.
Lorsque sa belle-famille, préalablement informée du viol, a su qu’elle était enceinte, elle l’a répudiée arguant que dans leur coutume, ils ne se « mélangent » pas avec l’ethnie de ceux qui l’ont violée. « Aucune femme au monde ne veut être violée. Parce que quand tu es violée tu perds une partie de toi-même. Ta dignité est profondément bafouée », fait savoir la commissaire de la Commission nationale des droits humains (CNDH), Salamata Ouédraogo, le 18 janvier 2022.
C’est pourquoi elle demande à la société et surtout aux hommes de ne pas culpabiliser les femmes victimes de viol. Et pourtant, les enfants de Alima lui sont même retirés, sauf son benjamin qui avait moins de trois ans. « Après concertation, mes beaux-parents m’ont dit de partir. Ils ont dit que je ne pouvais plus rester avec eux avec une grossesse qui n’appartient pas à leur fils », raconte la jeune femme, en pleurs. « Répudier les survivantes du viol, c’est les envoyer à la vindicte populaire.
C’est aussi aggraver leur situation en les enfonçant davantage dans la vulnérabilité », insiste le 8 janvier 2022, la conseillère technique de Médecins du Monde-France (MDM-F), mission du Burkina, pour la thématique VGB, Halima Mohamadou. En tant qu’organisation humanitaire, l’approche de sa structure, MDM-F, consiste à faire appel à la dimension humaine. « Ils m’ont donc chassée et récupéré mes enfants. Je les ai suppliés de me laisser au moins partir avec le plus petit qui avait à peine trois ans », regrette Alima.
Ses beaux-parents ont été sensibles à ses larmes, sur la garde de son benjamin. Avec d’autres Personnes déplacées internes (PDI), elle quitte alors Pissila pour Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord où elles tombent sur une dame au grand cœur qui décide de les accueillir. « Je suis une mère, j’ai aussi des enfants qui peuvent du jour au lendemain se retrouver dans cette situation. Pour moi, il n’était pas question de l’abandonner dans son état », explique la « bonne samaritaine », Sali (nom d’emprunt), le mercredi 16 février 2022, à son domicile.
Elle dit avoir un tout petit lien de parenté avec la mère de Alima Avec ses moyens limités, elle a dû, entre temps, se séparer des autres PDI pour mieux se consacrer à Alima qui fait désormais partie de sa modeste famille depuis plus de neuf mois. Quelques jours avant notre rencontre, ses beaux-parents ont envoyé un émissaire auprès d’elle, avec pour ordre de retirer l’enfant qui lui avait été laissé.
« Il est venu pour me prendre mon petit enfant. Avec ma tutrice nous les avons suppliés de le laisser parce qu’il est encore trop petit. C’est là qu’il est reparti sans trop insister », confie Alima, avant d’ajouter que ses enfants restés à Pissila et son mari lui manquent. « Depuis le départ de mon mari, je n’ai plus eu de ses nouvelles. Il ne m’a pas encore appelée. J’ai tenté de le joindre en vain sur son numéro. Surement que sa famille l’a déjà mis au courant de ma situation », dit-elle désespérée.
Sali, la tutrice, explique qu’une première tentative de médiation pour un retour a échoué. « Alima a été donnée en mariage dans la famille du mari de sa tante par le biais de celle-ci. Une autre tante a été sollicitée pour la médiation, mais chez la belle-famille, le sujet n’est pas d’abord à l’ordre du jour », regrette-t-elle. A ce sujet, la référente VBG de MDM-F, soutient qu’il faut un travail de longue haleine pour le changement des mentalités. « Nous insistons sur l’intégration de la dimension humaine dans les conceptions des valeurs sociales et culturelles. Il s’agit pour la communauté d’avoir toujours à l’esprit que l’on a en face de soi un être humain qui souffre », souligne-t-elle.
Violée par sept terroristes, elle accouche d’une fille
Après sa seule consultation prénatale, un examen échographique réalisé le 14 octobre 2021, au Centre hospitalier régional (CHR) de Kaya, a révélé que Alima attendait un bébé de sexe féminin dont la naissance est prévue entre le 13 et 20 décembre 2021. Et c’est finalement, le mercredi 29 décembre 2021 qu’elle a donné naissance à une fille à 21h10 au CHR de Kaya. Sept jours après son accouchement, Sali a trouvé un prénom à l’enfant de sa protégée, conformément au cérémonial de baptême des enfants nés hors mariage dans la religion musulmane.
« Nous avons apporté juste de la cola, des dattes et un peu d’argent pour la bénédiction de l’enfant. Témoigne Sali, avant de poursuivre : « Vu son histoire, nous avons confié l’enfant à Dieu en lui donnant un autre prénom traditionnel Kiswensida, qui signifie avoir foi à l’éternel, en langue nationale mooré ». Une autre PDI, qui a toujours soutenu Alima, de confession catholique, a ajouté d’autres prénoms. Le seul problème reste l’établissement de l’extrait de naissance de l’enfant parce que le nom de son père doit y figurer pour lui éviter d’éventuelles stigmatisations.
Déjà, le jeudi 30 décembre, lendemain de son accouchement, avant sa libération, une sage femme, procédant à l’enregistrement de naissance du nouveau-né par le E-civil, a contraint Alima à attribuer une fausse identité paternelle à sa fille. Cette sage femme n’ayant pas voulu se prêter aux explications de Alima et ses accompagnantes sur son viol. Ne sachant plus quoi faire pour la convaincre, Alima a d’abord appelé une dame de l’action sociale, puis sa tutrice pour qu’elles racontent son histoire à la sage femme.
Celle-ci a refusé de s’adresser à qui que ce soit. Elle est catégorique et exige tout simplement l’identité du père. Ainsi, s’en sont suivies des disputes entre la sage femme et la nouvelle maman, une de ses accompagnantes et son oncle paternel. Toute désespérée, Alima a fini par donner l’identité de son oncle maternel (R. S) à sa fille, à l’insu de celui-ci. Notons que cette scène s’est déroulée à l’insu des responsables du service.
La tutrice psychologue
Si Alima a réussi tant bien que mal à conduire sa grossesse à terme, il faut dire qu’elle a bénéficié d’un soutien multiforme. D’abord de la part de sa bienfaitrice Sali qui a su lui apporter un soutien psychologique. Une doyenne voisine de quartier, Kaly (nom d’emprunt), a aussi soutenu l’infortunée. D’ailleurs c’est cette dernière qui a accompagné Alima à l’hôpital, pour son accouchement. « Il y a eu un temps où Alima refusait de s’alimenter et de prendre son bain.
Elle avait perdu le sourire et toute envie de vivre. Elle avait des idées suicidaires et n’arrêtait pas d’en parler », font savoir les deux généreuses femmes. Pour dissuader leur protégée de passer à l’acte, la consigne était claire. Ne jamais la laisser ruminer seule ses problèmes. « Nous ne pouvons pas changer le cours des choses, mais nous essayons de lui redonner l’envie de vivre, et surtout pour ses enfants », expliquent-elles. La même attitude doit être observée envers toutes les femmes victimes des viols terroristes de même que leurs enfants à naître. « Ils n’ont pas demandé à venir au monde de cette façon.
Ce sont des enfants comme les autres et ils ont les mêmes droits », défend la commissaire de la CNDH. Mieux, elle estime qu’ils méritent d’être accompagnés de façon spécifique pour éviter qu’ils ne soient stigmatisés, frustrés à même de devenir des produits indésirables et dangereux pour la société. « Il faut surveiller ses enfants comme du lait sur le feu. Ce sont des enfants facilement récupérables par les groupes armés s’ils ne se sentent pas accepter par leurs communautés », prévient-elle.
Sur ce, il faut dire que le soutien de la tutrice « psychologue » a été salvateur, car Alima avait perdu le goût de la vie. « Ma vie n’a plus de sens. Je préfère plutôt mourir que de vivre avec cette situation », se lamente-t-elle quotidiennement. Si elle n’est pas passée à l’acte, c’est parce que sa tutrice, soupçonnant le danger, la surveille comme le lait sur du feu. « Les tanties ne me laissent jamais seule.
Elles causent tout le temps avec moi. Donc, je n’ai vraiment pas eu le temps de prendre des produits dangereux pour me tuer », explique-t-elle, avec un léger sourire qui rassure sur son état actuel. Aujourd’hui Alima a su remonter du fonds et se préoccupe de la santé fragile de son bébé. Elle et sa tutrice font d’incessants aller-retour entre les centres de santé et les services sociaux. Le bébé soufrant de difficultés respiratoires. « Rien que ce matin, j’ai reçu Alima en consultation.
Sa fille de 44 jours souffrait de toux et de rhume. Lors de l’enregistrement de l’enfant, elle a juste donné le prénom sans son nom de famille. Lorsque j’ai voulu comprendre la raison, elle a fondu en larmes », explique l’infirmier en poste au CSPS du secteur 4 de Kaya, Marie-Désirée Ouédraogo, avant de poursuivre : « Elle a continué à verser des larmes pendant un long moment. Ce n’est pas facile.
Nous sommes restés muets. Dans la salle, j’ai dû aussi calmer des collègues femmes qui étaient déjà en larmes ». C’était le vendredi 11 février 2022. Une histoire traumatisante pour Marie-Désirée Ouédraogo et son équipe. « C’est une femme stressée. Elle n’a pas le sourire et j’avais le pressentiment qu’elle tenait l’enfant juste pour le tenir », soutient M. Ouédraogo. Ayant repris goût à la vie, elle n’a que des mots de gratitude pour ses bienfaitrices. « Ces dames me soutiennent beaucoup. Elles sont à mes soins et ne me laissent jamais seule.
Elles veillent à ce que je ne manque de rien », dit Alima, sourire aux lèvres. Ce sourire qu’elle retrouve petit à petit, elle le doit aussi aux bonnes volontés, aux structures humanitaires et aux services de l’action sociale de la région du Centre-Nord. Elle, son bébé et son garçonnet bénéficient également de leur assistance sur le plan sanitaire et alimentaire et dans bien d’autres services. Elle a été enregistrée le 14 octobre 2021 sur le registre des victimes de Violences basées sur le genre (VBG) de la direction provinciale de l’Action sociale du Sanmatenga.
Par conséquent, elle est éligible pour toute assistance ou toute faveur liée à sa situation. A ce titre, elle a déjà bénéficié de vivres et de vêtements de la part de plusieurs structures dont l’action sociale. Les services sociaux ont entamé des démarches pour l’obtention d’un extrait de naissance en bonne et due forme pour le bébé. Bien que Alima et ses enfants bénéficient d’aides multiformes, retourner parmi les siens reste son plus grand souhait. Sa tutrice y travaille en demandant leur indulgence.
Mariam OUEDRAOGO (Journaliste aux éditions Sidwaya/Burkina Faso)
mesmira14@gmail.com
La loi du silence !
Très souvent, les femmes violées par des terroristes gardent le silence après leur agression. Une fois libérées des mains de leurs tortionnaires, la consigne qu’ elles se donnent toutes, est de garder le silence. L’omerta est même de rigueur avec les agents de santé lors des consultations. Si le viol se fait sans témoin, la femme ne parlera jamais de sa mésaventure. Si le viol est collectif, les victimes se promettent dans une sorte de serment collectif de garder à jamais le silence sur ce qu’elles ont subi. Aucune d’elles ne rompra ce pacte non écrit parce qu’elles ont toutes à y gagner.
En réalité, les victimes du viol prennent toutes ces précautions pour se mettre à l’abri du rejet de la société. Elles ne veulent pas, en plus d’avoir subi le viol, endurer une autre sanction qui est la répudiation. Il faut savoir que dans plusieurs villages, les mariages entre certaines ethnies sont bannis. Les coutumes ne tolèrent pas les rapports intimes entre certaines ethnies, même par viol. Conséquences, pour sauvegarder leur foyer, des femmes violées par des terroristes préfèrent garder le silence au détriment de leur santé et de leur bien-être. Et aujourd’hui, Dieu seul sait combien de grossesses et enfants de terroristes ont été attribués aux maris par leurs femmes.
M.O