Entamé depuis 2014, le projet de construction de l’école primaire du quartier Tampousghin du village de Nakaba dans la commune de Baskouré peine à voir le jour. Des revendications territoriales entre les chefs coutumiers de Songretenga et Nakaba mettent à mal l’exécution du projet… Latente au début, cette crise désormais ouverte met en péril l’éducation de centaines d’enfants.
L’ambiance est morose dans le quartier Tampousghin du village de Nabaka dans la commune de Baskouré. Ce mercredi 30 avril, certains enfants continuent de déferler sur les ruines du chantier de l’école primaire. D’autres courent dans tous les sens. Les regards perdus. Les visages graves. Les résidents de Tampousghin n’arrivent pas à décrire ce qu’ils qualifient de désastre pour la communauté éducative. « Voilà ce qui reste du chantier de l’école. Tout a été détruit», lance le Conseiller villageois de développement (CVD), du village de Nakaba, Hamado Niodogo, la voix grave, l’index pointé sur les gravats. Fruit d’une succession de crises, depuis 2014, le projet de construction de l’école primaire de Tampousghin n’avance pas. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ? Située à 20 Km de la commune de Baskouré, Tampousghin est une « grosse agglomération » de plus de 5 000 âmes, avec une forte population de plus de 500 enfants, en âge d’aller à l’école. Malheureusement, les mômes sont obligés de parcourir, 6,7, voire 8 km pour accéder à l’instruction. Des requêtes sont alors soumises au ministère en charge de l’éducation, pour permettre aux enfants de ce quartier de jouir du droit élémentaire d’aller à l’école, à l’instar de tous les enfants du pays des Hommes intègres. En cette année 2014, le gouvernement de Transition via la délégation spéciale accède à la doléance. Le rêve des enfants commence à se réaliser. Mais leur joie est de courte durée. Le site d’implantation de l’école est revendiqué par le chef coutumier de Songretenga. De contestations en contestations, le projet est tué dans l’œuf. Les revendications territoriales entre Songretenga et Nakaba empêchent alors la réalisation du projet. A la fin de son mandat, la délégation spéciale file la patate chaude au conseil municipal entrant. A l’arrivée de Dieudonné Sawadogo, à la tête de l’exécutif communal de Baskouré, le 28 juin 2016, Tampousghin n’a toujours pas son école. Marches après marches, doléances après doléances…auprès des autorités en charge de l’éducation, l’Etat donne encore son « ok » au maire de Baskouré, Dieudonné Sawadogo pour le projet avec l’intitulé « construction de blocs de salles de classes équipées + bureau et magasin dans la région du Centre-Est au profit du Ministère de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales (MENAPLN), Lot 6 ». Avec les responsables coutumiers de Nakaba, un nouveau site est identifié. « Je leur ai demandé de me montrer les vraies terres, celles qui sont propres au village de Nakaba pour implanter l’école afin de ne pas avoir des difficultés», affirme l’édile de Baskouré. Avec le quitus des coutumiers de Nakaba, le chantier de construction d’un bâtiment de trois salles de classes, des latrines à deux compartiments, un magasin, un bureau pour le directeur dans un délai de quatre mois à partir de mars 2020, démarre. Les jours passent. Le chantier avance. Contre toute attente, le 25 avril dernier, plus d’une centaine de jeunes de Songretenga armés de gourdins, de couteaux,…convergent vers Tampousghin. Sous le regard impuissant des hommes, femmes et enfants, des ouvriers, le chantier de l’école primaire est pris d’assaut. Dans leur furie, la cohorte d’individus saccage le matériel de construction.
Les briques sont réduites en sable. La bâtisse s’écroule comme un château de cartes. Les fers sont tordus. Les tonneaux et les fûts d’eau perforés. Les roues des brouettes sectionnées. Les barriques d’eau endommagées. En somme, tout le matériel de construction est saccagé. Sans regrets, les manifestants abandonnent derrière eux, des briquaillons et des populations dans le désarroi. N’eut été la sagesse des vieux, le jour de la destruction du chantier, le conflit pouvait dégénérer en un bain de sang, signifie Salam Niodogo, 99 ans. « Le jour de la destruction, ils sont arrivés dans ce quartier par dizaine. Nous avons maîtrisé les jeunes en leur disant de ne pas répliquer. Car, notre souci, c’est de préserver la paix pour la construction de l’école », affirme le doyen d’âge de Tampousghin. « Ce jour, c’est à cause des vieillards qui nous ont demandé de ne pas réagir, sinon, cela allait tourner au drame », se souvient encore M.Niodogo.
Une terre, deux propriétaires
L’éloignement de l’école est un frein à la scolarisation de nombreux enfants de Tampousghin. Les enfants parcourent des kilomètres pour rallier quotidiennement, souvent à pieds les écoles de Sanbrabinatenga dans la commune de Amdemtenga (6km), Birghin dans la commune de Baskouré (7 Km), et Nioughin dans la commune de Gounghin ( 6 km). « Nous nous sommes battus pour avoir l’école. A notre grande surprise, c’est le village voisin de Songretenga qui relève de la commune de Amdemtenga qui refuse la construction », s’indigne le maire de Baskouré. Administrativement, Tampousghin et Songretengra relèvent respectivement des communes de Baskouré et de Amdemtenga. Mais, les revendications territoriales du chef de Songretenga sur le quartier de Tampousghin freinent l’exécution du projet d’érection de l’école. Ouvrant de facto, la voie à un conflit foncier. « Si l’école doit être construite, elle doit relever de la commune de Amdemtenga. Donc, du village de Songretenga », clame le Naaba Tanga, chef de canton de Songretenga. Pour les habitants de Tampousghin, il n’y a pas de raison de construire leur école et la rétrocéder à un village d’une autre commune. C’est ce “niet” qui est désormais, la pomme de discorde entre les deux protagonistes. La construction n’a pas suivi les règles et protocoles coutumièrs, insiste le chef de canton de Songretenga. Mais, surtout n’a pas reçu son « ok ». « Ils sont venus de Baskouré me demander une portion de terre pour cultiver. J’ai accepté et nous vivions en parfaite harmonie. Depuis quelques années, j’ai appris le projet de construction d’une école sur mon territoire sans être informé. J’ai dit non. Ce n’est pas possible. Je suis d’Amdemtenga, si vous avez reçu un don, le minimum, c’est de m’aviser avant toute démarche. C’est ainsi que leur premier projet est resté sans suite. La semaine dernière, j’apprends encore la construction d’une autre école sur mes terres sans que je ne sois informé », s’indigne le chef coutumier. Il dit alors avoir engagé des concertations avec ses « hôtes » pour trouver une solution au conflit foncier qui les oppose. « J’ai fait appel aux frondeurs. Mais, ils ne sont jamais venus. Je les ai rejoint à Tampousghin pour discuter. Ils m’ont fait savoir que si l’école n’est pas construite, il y aura mort d’hommes », confie-t-il. « Nous nous sommes entendus avec les sages de Tampousghin», dit-il, relevant que ceux-ci ont reconnu que la portion de terre lui appartient. « Tampousghin est un hameau de culture. Ceux qui sont venus plaider pour y cultiver ne peuvent pas de nos jours revendiquer la propriété», fulmine-t-il. L’attitude des populations de Tampousghin est une autre forme de reconquête coloniale, déplore le 2e adjoint au maire de Amdemtenga, Nicolas Compaoré. Le Naaba Sonré de Nakaba ne l’entend pas de cette oreille. La terre appartient bel et bien à ses ancêtres qui y ont résidé depuis des décennies, affirme-t-il. Il se demande sur quoi se base le chef de Songretenga pour revendiquer leur espace territorial. « Certains parents y ont vécu plus d’un siècle et il n’y a jamais eu de revendications, si ce n’est ces dernières années. A leur installation, il n’y avait personne sur ces terres », précise-t-il.
Difficile médiation
Dans ce conflit foncier, les tentatives pour concilier les deux parties semblent difficiles. Malgré les médiations, chacun campe sur sa position. « Quand bien même la terre m’appartient, je suis allé discuter avec eux. Parce que tous nos enfants peuvent fréquenter l’école.», affirme le chef de canton de Songretenga. Pour trouver une solution au différend, les autorités provinciales ont été appelées à la rescousse.
« Lorsque nous sommes allés, le haut-commissaire a évoqué des non-dits dans cette affaire. Il a demandé de surseoir à la construction de l’école. Mais à notre grande surprise, nous avons appris qu’ils avaient construit jusqu’au chaînage à notre insu», déplore le 2e adjoint au maire de Amdemtenga. Le cœur meurtri, Salif Niodogo, un autre doyen du village, estime que la violence n’a jamais été source de développement. Pour lui, les autorités doivent œuvrer pour la réalisation de l’infrastructure scolaire. « Sinon, ces tensions peuvent aboutir à un affrontement. Or, l’affrontement n’a jamais contribué au développement de la société », prévient M. Niodogo.
Un projet en berne
Depuis le passage des frondeurs, le chantier est à l’arrêt. Par peur de représailles, maçons, entrepreneurs, techniciens du bâtiment…ont pris leurs jambes à leur cou. Personne ne veut prendre le risque de subir la furie des antis « école ». A quand la reprise des travaux ? A Songretenga ou à Tampousghin, personne ne saurait le dire. Contacté, le haut-commissaire du Kourittenga, dans un SMS en date du 7 mai 2020, nous répondait : « j’ai également constaté avec regret la démolition de l’école en chantier à Tampousghin, le 25 avril 2020 et j’ai rendu compte à la hiérarchie. J’ai fait constater les dégâts afin que le tort soit réparé. Je travaille également dans le sens de trouver des solutions ». Comment l’école sera reconstruite sous une crise communautaire ? Les sanctions sont-elles prévues pour les destructeurs du chantier ? Ce sont, entre autres préoccupations auxquelles, nous ne trouverons pas de réponses auprès du haut-commissaire du Kourittenga, qui n’a pas voulu en dire plus. «Les autorités doivent agir. Normalement, ils doivent être poursuivis », propose Séni Niodogo, habitant de Tampousghin. A Songretenga et à Tampousghin, la tension est toujours vive. Les deux camps se regardent désormais en chiens de faïence. « A chaque fois, nous tentons de calmer les gens de ne pas réagir. Si cette attitude se répète, jusqu’à quand pourra-t-on contenir la population », s’interroge le conseiller pédagogique en philosophie, Lassané Simbéogo.
Sauver l’avenir des enfants
Malgré les risques réels d’affrontements entre « pro et anti école », certains veulent toujours privilégier la voie du dialogue. Le doyen Salif Niodogo estime que dans ce conflit foncier, l’intérêt des enfants doit prévaloir. Salam Niodogo, l’un des doyens d’âge du quartier Tampousghin, souhaite aussi que la voie du dialogue soit privilégiée.
« Nous ne voulons pas de conflit, mais l’érection de l’école », soutient le vieillard de 99 ans. La voix tremblante, les larmes aux yeux, le maire de Baskouré lâche : « Je suis un fils de paysan et je sais ce que l’école représente. C’est très douloureux que l’Etat ait mis tous ces moyens et que des individus viennent les détruire». La mobilisation des ressources est très difficile, en témoignent les milliers d’écoles sous paillote, regrette le directeur provincial de l’éducation préscolaire, primaire et non formelle du Kourittenga, Jean Christian Kyelem. Donc, l’opportunité d’avoir une école est une joie. Malheureusement, si elle est détruite, c’est un chagrin. Il conseille de travailler à apaiser les cœurs pour parvenir à réaliser l’infrastructure au profit des enfants.
« Personnellement, qu’on dise que l’école est rattachée à Amdemtenga ou à Baskouré, ce n’est pas ma préoccupation. Mon souci, c’est que les enfants qui sont des Burkinabè puissent avoir cette infrastructure pour s’épanouir», souhaite le directeur provincial de l’éducation. Concrètement, dit le conseiller Simbégo, le chef de canton de Songretenga équivaut au chef de Koupéla puisqu’ils prennent leur chefferie à Boulsa. « Ils peuvent se déporter là-bas pour trancher le différend», propose-t-il. Aux jeunes qui ont détruit le chantier, il leur demande de se resaisir. Le maire de Baskouré souhaite que les responsables coutumiers de Nakaba et Songretenga puissent s’asseoir pour discuter afin de permettre aux enfants de Tampousghin d’avoir accès à l’école.
Le Naaba Sonré de Nakaba se dit toujours ouvert au dialogue. Il est convaincu que l’école ouvrira un jour ses portes. Mais, quand ?
« Le chef de Songretenga et moi, nous nous connaissons très bien. Dans tous les cas, nous allons nous entendre», répond-il. Felicienne Sobogo, élève en classe de CM2, souhaite une issue heureuse à cette crise.
Abdel Aziz NABALOUM (Journaliste aux éditions Sidwaya/ Burkina Faso)
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