Burkina Faso: Le barrage de Samendeni, « L’eldorado » des pêcheurs maliens

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Le mareyeur Yacouba Traoré

L’inauguration du Barrage de Samendeni situé à une cinquantaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso en décembre 2018 a attiré un grand nombre de pêcheurs parmi lesquels les Maliens appelés « Bozo ». Leur intégration dans la localité a permis de développer l’activité.

En ces temps de canicule du lundi 4 mai 2020, l’affluence au débarcadère le plus fréqu0enté n’est pas au rendez-vous, au barrage de Samendeni, situé à une cinquantaine de kilomètres de Bobo-Dioulasso. Quelques pirogues fabriquées avec des planches en bois blanc munies d’un petit moteur ou de pagaies et de filets au bord de l’eau se cognent sous l’effet du vent. Néanmoins, d’irréductibles mareyeurs et pêcheurs sont présents. Les mareyeurs assis sur des caisses à proximité durant un bon moment, hument l’air de l’étendue d’eau, en guettant le retour des piroguiers avec leur capture. Ils sont partis tôt le matin pour vérifier leurs filets qu’ils ont posés la veille.

Un peu plus loin, quelques pêcheurs sous un hangar se racontent de petites histoires et s’envoient des piques à s’esclaffer autour de l’agent du périmètre halieutique d’intérêt économique de Samendeni, venu pour renouveler le permis de pêche des demandeurs. Pour disposer d’un permis de pêche ou de la licence de commercialisation du poisson d’une validité de 12 mois, les pêcheurs nationaux doivent s’acquitter de la somme de 8 500 F CFA (12,96 €) tandis que les non-nationaux déboursent 35 000 F CFA (53,35€) cela, conformément aux textes qui régissent l’activité de pêche. A ces catégories de permis vient s’ajouter celle de la pêche sportive dont le permis annuel coûte 2 500 F CFA (3,81 €).

Des demandeurs de permis de pêche se faisant enregistrer auprès du l’agent du périmètre halieutique d’intérêt économique de Samendeni.

En plus de la somme exigée, chaque demandeur doit joindre une photo et une copie de sa pièce d’identité pour constituer le dossier. Une quittance et une carte sont remises au pêcheur pour attester l’autorisation de mener son activité. Pour cette opération, les cinq demandeurs de permis du jour sont tous des Burkinabè. Tous les Maliens présents sous le hangar sont tous en règle. Parmi eux, Nouhoun Tingambo, 43 ans. Venu de Mopti au Mali pour découvrir le barrage de Samendeni après son inauguration en décembre 2018, la curiosité du mordu de poisson a fini par le sédentariser à proximité de l’étendue d’eau. « Depuis mon pays, j’ai entendu dire que ce barrage regorge de ressources halieutiques. Depuis lors, je ne regrette pas d’être venu », affirme-t-il.

Nouhoun Tingambo est un Bozo, nom donné à cette population manding d’Afrique de l’Ouest, qui vit principalement au Mali, le long du fleuve Niger et de son affluent le Béni. Pêcheurs dans l’âme, les Bozos sont considérés comme les « maîtres du fleuve ». M. Tingambo n’imagine pas sa vie loin des étendues d’eau. En effet, le pêcheur s’est construit un habitat de fortune fait de bois et de paille, le tout couvert d’un plastique avec une plaque solaire qui permet d’éclairer son logis.

Le pêcheur Nouhoun Tingambo a fini par se construire une maison à proximité du barrage.

Bambous servant de lit

A l’intérieur, quatre morceaux de bois fixés au sol soutiennent un amas de bambous qui lui sert de lit. Quelques habits suspendus sur une corde, à côté d’un filet de pêche, des ustensiles de cuisine, un seau, une petite batterie et une radio constituent les principaux matériels de sa baraque. Sur un débarcadère, l’on peut dénombrer dix bicoques de ce type. Comme Nouhoun Tingambo, ils sont nombreux ces pêcheurs du Mali à s’établir dans les dix débarcadères qui entourent le barrage d’une superficie de 15 300 hectares et repartis entre cinq communes (Bama, Karengasso Sambla, Banzon, Samoroguan et Kourouma). Combien sont-ils de pêcheurs maliens ? Le « Bozo » ne peut donner un chiffre précis. Car, dit-il, c’est pendant la pêche qu’il découvre certains compatriotes.  A ce qu’il paraît, leur présence a permis de développer l’activité de pêche.

Pour le mareyeur Yacouba Traoré, les « Bozo » sont les meilleurs en matière de pêche. La trentaine bien sonnée, le mareyeur parcourt tous les jours, la distance entre Bobo-Dioulasso et Samendeni à moto pour s’approvisionner en poisson qu’il revend ensuite. Pendant que nous échangeons avec lui, un « Bozo » débarque avec un panier de poissons. Il remet sa capture composée de carpes, de silures et de capitaines au mareyeur pour la pesée. La balance indique un poids de trois kilogrammes. Le mareyeur écrit le poids dans son calepin, puis verse le contenu du panier dans sa caisse. Le « Bozo » recevra son argent qui s’élève à 2 100 F CFA (3,20 €), après que Yacouba Traoré a revendu les poissons à Bobo-Dioulasso.  « Le jour où vous me voyez sourire, c’est que les pêcheurs Bozos sont revenus avec une quantité importante de poissons. Les Bozo peuvent me fournir jusqu’à 40 kilogrammes de poisson quand la pêche est bonne », lance-t-il l’air heureux.

Pour le mareyeur Yacouba Traoré, la présence des pêcheurs maliens a dynamisé l’activité.

En termes de recettes, Tidjane Konta un autre « Bozo » dit ne pas s’en plaindre. « J’arrive à joindre les deux bouts avec mon activité depuis que je suis là. En fonction de l’abondance des poissons, je peux faire une recette de 20 000 F CFA (30,52 €) en une journée avec ma capture », informe-t-il.

« Nous sommes une famille ici »

En ce qui concerne la collaboration entre les « Bozo » et les pêcheurs burkinabè, Bakary Traoré un ressortissant du village de Samendeni exerçant la même activité ne va pas du dos de la cuillère pour affirmer qu’elle est parfaite. « Nous sommes une famille ici. Il n’y a jamais eu de conflit entre nous. L’entente avec les Bozo est tellement bonne qu’il arrive souvent qu’ils nous prêtent leurs pirogues quand nous avons des difficultés avec les nôtres », atteste-t-il. Nouhoun Tingambo révèle que lorsqu’il voit un Burkinabè pêcher avec un filet de mauvaise qualité, il attire son attention en lui recommandant d’acheter des engins de pêche du Ghana qu’il trouve meilleur.

Baye Konta un autre « Bozo » confie qu’il a l’habitude de partager ses expériences avec les pêcheurs burkinabè dans le choix du type d’engin de pêche. « Je les conseille par exemple d’utiliser la palangre pour pêcher le capitaine. C’est une ligne sur laquelle on fixe les hameçons à intervalle régulier avec à leur bout, un appât qui peut être un petit poisson », explique-t-il. Au barrage de Samendeni, la cohabitation entre pêcheurs malien et burkinabè va au-delà du partage d’expérience.

En effet, l’intégration des « Bozo » a permis à certains de partager leur vie de couple avec des burkinabè. C’est le cas de la transformatrice de poisson Maïssèta Zalla, 26 ans, épouse d’un pêcheur malien, elle dit vivre en parfaite harmonie avec son mari. « L’activité de mon conjoint a permis de m’occuper, en dehors de mes tâches ménagères. Les poissons qu’il ramène de la pêche, je les achète, et je le revends à l’état préparé ou fumé », déclare-t-elle.

Maïssèta Zalla est devenue transformatrice de poisson après avoir épousé un « Bozo ».

Cependant, pêcheurs Burkinabè et Maliens sont unanimes à déplorer la fermeture momentanée de l’activité de pêche. Pour Baye Konta, avec le poisson qui commence à se faire rare, le fait de fermer le barrage n’arrange pas les pêcheurs. « La conséquence est que les pêcheurs étrangers comme nos compatriotes, les Ivoiriens et les Nigériens sont obligés de retourner dans leur pays et ne reviennent plus », explique-t-il. Le mareyeur Yacouba Traoré embouche la même trompette en arguant que la période d’interdiction de l’activité de pêche intervient au moment où il y a abondamment de poissons.

Selon le chef du périmètre halieutique d’intérêt économique de Samendeni Ismaël Bamouni, pour tous les périmètres halieutiques qui font rentrer de l’argent au trésor, il est prévu une fermeture du plan d’eau de deux à trois mois. « Ici, nous nous sommes accordés sur deux mois. Les mois d’août et septembre sont la période où le poisson se reproduit. Donc, nous sommes obligés de suspendre l’activité de pêche », justifie l’ingénieur d’élevage.  Les usagers du barrage de Samendeni reprochent également à certains pêcheurs de pratiquer une forme de pêche qui viole la règlementation en vigueur.

Il s’agit suivant les explications du pêcheur Siaka Traoré, pêcheur natif de Samendeni de la battue d’eau. « Elle consiste à étaler les filets maillants sur une longue distance et les pêcheurs se munissent de chaînes ou de gourdins pour taper dans l’eau de sorte que le poisson soit désorienté. Cela permet d’avoir une grosse quantité de poisson. Ce qui fait que le poisson commence à se faire rare dans le barrage », démontre-t-il. Qu’à cela ne tienne, les pêcheurs Burkinabè et Maliens ont décidé de combattre ce type de pêche aux côtés des autorités, car disent-ils, il s’agit d’un bien commun et leur survie en dépend.

De l’intérêt économique du barrage de Samendeni

La construction du barrage de Samendéni était plus qu’une nécessité au regard de l’impact économique qu’il a imprimé dans la localité. En effet, il a contribué à la sécurité alimentaire, à générer des revenus journaliers, à lutter contre la pauvreté des populations à travers la création d’emplois notamment la pêche. Cette dernière pour ne citer que celle-là a induit des centaines d’emplois répartis entre la pêche artisanale et la commercialisation des produits de pêche exercés par des pêcheurs nationaux et non nationaux.

…tout comme des sardines.

Selon le rapport d’activités de l’année écoulée (2019) du périmètre halieutique d’intérêt économique de Samendeni élaboré par la direction régionale des ressources animale et halieutique des Hauts-bassins, la production totale de poissons frais enregistrée au niveau des débarcadères qui fonctionnent les trois premiers trimestres est estimée à environ 200t . En ce qui concerne les recettes fiscales liées à l’activité de pêche, elles s’élèvent à un total de 23 522 500 F CFA (35 892,72€). Il s’agit entre autres de 1071 permis de pêche et sportif délivrés (dont 102 non nationaux) pour un coût de 10 777 500 F CFA (16 445,27€) et 1 052 licences de commercialisation de produits de pêche qui s’élèvent à 12 745 000 F CFA (19 447,45€).

 

Reportage de Paténéma Oumar OUEDRAOGO

pathnema@gmail.com

POO

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