Burkina-Ville de Pô: La drogue ‟gangrène″ la cité

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Une partie de la drogue et des psychotropes saisis par les agents de l’Unité anti-drogue au cours d’une des opérations.

La consommation de la drogue prend des proportions inquiétantes à Pô dans la région du Centre-sud du Burkina Faso. Autrefois ville de transit du fait de sa proximité avec la frontière du Ghana, le chef-lieu de la province du Nahouri est aujourd’hui devenu une localité de consommation et de production de cannabis. Toute chose qui a valu l’implantation d’une antenne régionale de l’Unité anti-drogue pour traquer trafiquants, consommateurs et producteurs de ces stupéfiants.

Le Bar dancing « Play store » du quartier Zénia 1 au secteur n°6 de Pô (région du Centre-sud) vit, comme tous les débuts de week-end, au rythme de sonorités musicales du moment. La musique est diffusée à profusion avec des décibels lâchés par de puissants baffles. Il est 22h15 mn ce vendredi 30 octobre 2020. La clientèle est au rendez-vous. Une bonne partie des adeptes de cette boîte  de nuits chaudes de la ville est installée dans un décor de néons faits de différentes couleurs, tandis que le trop-plein occupe l’espace situé entre le bar et un immeuble en construction.

Dans cette pénombre où sont disposées des tables et des chaises, la boisson, notamment l’alcool, coule à flots. Trois clients assis autour d’une table à l’écart se partagent à tour de main un “bâton de cigarette“. L’odeur et la bouffée de fumée qui s’en dégage sont différentes de celle des cigarettes ordinaires au point d’indisposer les clients assis à proximité. Le trio fume, en réalité…de la drogue. Leur familiarité avec les serveuses du bar laisse entrevoir qu’ils sont des habitués des lieux. « Ces personnes commandent de la bière et en profitent pour fumer la drogue. Cela fait la deuxième fois que je les rencontre ici. La dernière fois, j’ai dû changer de buvette avec mon ami parce nous n’arrivions plus à supporter l’odeur infecte de la fumée. Depuis lors, j’ai réalisé que ce coin est un fumoir pour drogués», nous raconte le client Antoine Anougabou, un habitué des lieux. Comme ce bar, la capitale de la province du Nahouri située à 147 km de Ouagadougou est « infestée » de lieux de consommation de stupéfiants. Au secteur n°5 de la ville, derrière une colline à proximité du barrage, des individus se retrouvent régulièrement dans un endroit fait de grosses pierres autour d’un arbre, loin des regards indiscrets, pour fumer du joint.

Un des endroits du secteur n°5 de la ville Pô où des jeunes se retrouvent souvent pour fumer le joint.

L’ancien conseiller  municipal et habitant du secteur, Inoussa Sana, confie que ces jeunes fument habituellement du chanvre indien à cet emplacement quand ils en disposent. « Lorsqu’ils aperçoivent quelqu’un venir vers eux, ils éteignent rapidement la cigarette et font semblant de discuter pour détourner l’attention. La drogue est devenue un petit déjeuner pour ces jeunes. Tant qu’ils ne consomment pas, ils ne peuvent pas travailler», déclare M. Sana, un brin amer. Âgé d’à peine 30 ans, Ousmane Birba est apprenti chauffeur de minicar sur l’axe Ouagadougou-Pô. Après moult négociations, il finit par confirmer les propos de l’ancien conseiller municipal. « Le matin avant de commencer le travail, je fume une bouffée de cigarette. Ensuite, je prends deux comprimés de tramadol (un anti douleur proche de la morphine détournée en stupéfiant lorsqu’il est consommé en de fortes doses, Ndlr). Ces comprimés me permettent de travailler à longueur de journée. Le métier est beaucoup plus physique. A chaque arrêt du véhicule durant le trajet, il y a souvent des bagages qu’il faut faire monter ou descendre », justifie-t-il. Au secteur n°1 de la ville, les cabarets sont des lieux où certains clients consomment, entre deux calebassées de dolo (bière de mil, ndlr) des stupéfiants. Dans un aveu d’impuissance, la dolotière Florence Azoupiou dit les voir souvent prendre des “doses” sans qu’elle ne puisse intervenir parce qu’ils constituent le gros de la clientèle  de son cabaret.

                          « …ces clients avalent en buvant le dolo »

« Généralement, ce sont des comprimés de tramadol que ces clients avalent en buvant le dolo. Quand ils veulent fumer la drogue, ils feignent d’aller se soulager. De mon hangar, je sens l’odeur de la drogue. Ma crainte est de voir les discussions se terminer un jour par des bagarres dans le cabaret à cause de la consommation de ces stupéfiants », déclare-t-elle. Avec la rentrée scolaire intervenue en début octobre, les élèves des lycées et collèges de la province du Nahouri ne sont pas à l’abri de ces substances nocives. Elève  en classe de terminale A au lycée privé Education sans frontière, Irène Agourabou affirme n’avoir pas encore vu un de ses camarades prendre la drogue. Toutefois, elle reconnait avoir entendu parler de l’existence de certains consommateurs au sein de l’établissement. Une affirmation que partage le proviseur du lycée provincial de Pô, David Ouoba. « Le comportement de certains élèves nous laisse croire qu’ils ne sont pas nouveaux en la matière. Mais le cadre scolaire ne les a jamais pris la main dans le sac.

En 2019, une mission de la police  a été reçue en vue d’enquêter sur un de nos élèves qui avait un ami consommateur. Mais l’élève a nié en bloc les faits», relate-t-il. Et pourtant, l’élève en question de la classe de terminale a été déféré devant le parquet de Manga, selon le sous-lieutenant de police Serge Tassembedo, de l’antenne régionale de l’Unité anti-drogue de Pô. Selon l’agent de police, depuis la mise en fonction de l’antenne régionale l’année dernière, une dizaine d’élèves a été conduite devant le parquet. « Ces lycéens prenaient du tramadol au début et par la suite, ils sont passés à la consommation de la drogue. Tout juste derrière l’établissement, ils ont aménagé un coin où ils avaient l’habitude de se retrouver après les cours pour fumer la cigarette et la drogue », précise M. Tassembedo, tout en déplorant le fait que des chefs d’établissement ne veulent pas collaborer dans la dénonciation des élèves. Conséquence, c’est le district sanitaire de Pô qui se retrouve débordé de consommateurs de stupéfiants. « Nous avons un nombre élevé de jeunes que nous recevons dans des états critiques en rapport avec la consommation de drogue.

Le service de santé mentale notamment les reçoit régulièrement en consultation. Ces patients présentent des troubles d’hallucination et d’agressivité », révèle le Médecin-chef de district (MCD) Dr Daouda Bamba. Ce qui donne souvent du fil à retordre au personnel soignant qui fait des pieds et des mains pour assurer la prise en charge de ces patients. « On avait un infirmier spécialisé en santé mentale, mais ce dernier a été affecté. Actuellement le service est géré par une bonne volonté, une infirmière d’Etat qui fait tout ce qu’elle peut. Mais, elle ne maitrise pas tous les aspects psychologiques pour pouvoir prendre en charge le suivi. L’idéal, c’est de disposer d’un technicien à cet effet», précise Dr Bamba. De son avis, ce sont des traitements presqu’à vie, souvent avec des rebonds. Donc, mieux vaut, conseille-t-il, ne pas être tenté par la drogue pour éviter de tomber dans ses travers.

Le chef d’antenne régionale de l’Unité anti-drogue de Pô, le commissaire de police Daniel Bayala : « La population doit approcher nos services pour dénoncer les consommateurs et autres trafiquants de drogue ».

A la question de savoir comment ces personnes se procurent les stupéfiants, le commissaire de police Daniel Bayala, chef de service de l’antenne régionale de l’Unité anti-drogue de Pô ne va pas du dos de la cuillère pour indexer la proximité de la ville avec le pays voisin. « A partir de nos statistiques, on s’est rendu compte que la plupart de la drogue provient du territoire ghanéen. Quand on prend les chiffres les plus récents, pour l’année 2020, nous sommes déjà à 170 kg de saisie en matière de drogue. En ce qui concerne les produits prohibés, nous avons près d’une tonne et demie de médicaments de rue et d’amphétamines tout confondu qui ont été saisis et entreposés dans nos différents magasins. Il y a d’autres saisies qui ont été faites comme la cigarette frauduleuse et l’alcool frelaté», dévoile-t-il. Les drogues saisies se composent, entre autres, de cannabis, de chanvre indien, de marijuana, et de psychotropes. Certains produits sont conditionnés et la valeur de certains emballages est estimée 60 000 F CFA l’unité, selon le commissaire de police Daniel Bayala. Ces saisies sont le fruit des différents contrôles des agents de l’unité antidrogue sur plusieurs itinéraires notamment des pistes rurales qu’empruntent les trafiquants dans des véhicules de transport ou d’engins à deux roues. Des patrouilles se font également dans des villages environnants, lorsqu’il y a des soupçons de vente ou de consommation de drogue, ajoute commissaire Bayala.

                                                       Une plaque tournante

Ce qui laisse croire que le Nahouri est devenu une plaque tournante de la drogue. Autrefois ville de transit, Pô où vivent près de 80 000 âmes est en train de devenir le bastion de fabrication de ces produits nocifs. Pour venir à bout du phénomène, l’antenne régionale de l’Unité anti-drogue avec un effectif d’une dizaine d’agents développe au quotidien des stratégies en établissant des collaborations avec des informateurs dont elle garantit la confidentialité. Cette stratégie a produit des résultats en ce sens qu’elle a permis de mettre le grappin sur un producteur de cannabis à Tiakané, un village situé à une dizaine de kilomètres de Pô. Le présumé producteur répond au nom de Ouézikira Bouliou. Veuf âgé de 54 ans, il avait construit une hutte dans son champ loin de l’habitation familiale comme le font d’autres paysans du village, pour s’abriter afin de surveiller de près leur champ. Mais derrière cette idée de surveillance, Ouézikira Bouliou cultivait en plus du cannabis.

à l’arrestation du présumé propriétaire Ouézikira Bouliou.

A l’intérieur de son champ composé de maïs, de sésame, de haricot et bien d’autres, cette plante poussait à deux endroits. La première prairie de cannabis d’une superficie de moins d’un hectare était camouflée dans le champ de maïs non loin de sa baraque. Quant à la seconde, située à environ 800 mètres de la cabane, il fallait redoubler de vigilance pour le distinguer dans le champ de sésame, car à vue d’œil, rien ne laisse entrevoir qu’il s’agit de cannabis. En effet, les feuilles opposées de cette plante émergent de chaque côté de la tige avec un espace vertical distinct apparaissant entre les paires, se confondent à la plante du sésame. Suite à un appel téléphonique d’un anonyme à l’Unité anti-drogue, faisant cas de la présence de cultures de cannabis dans un champ, le pot aux roses a été découvert. « Au début la personne était un peu réticente à dénoncer le producteur qui s’adonnait à cette activité par souci de préserver les liens sociaux. Mais, nous l’avons rassuré à travers nos stratégies du bien-fondé de la démarche  », précise le chef d’antenne régional de l’Unité anti-drogue.

Après avoir fait une reconnaissance des deux champs et le domicile du présumé producteur de cannabis grâce aux indications de l’informateur, le commissaire Bayala mobilise une poignée d’hommes, le jeudi 10 octobre, pour procéder à son arrestation et à la destruction desdits champs. L’opération se déroule à 4 heures du matin au moment où les habitants du village sont encore endormis. « Nous avons été à son domicile et il nous a conduits sur le site sans résistance », relate le sous-lieutenant de police Serge Tassembedo. L’accès au site ne s’est pas fait sans encombre. Après avoir avalé quelques kilomètres en parcourant des champs sur des engins à deux roues, le reste du trajet se fait à pied, pour traverser des zones marécageuses et des bas-fonds jusqu’au champ de Ouézikira Bouliou. « Quand il a montré le premier champ, nous lui avons demandé de nous indiquer le deuxième parce que nous avions toutes les informations le concernant. Et, il nous a conduits sur l’autre site de cannabis. Les plants étaient déjà en maturation et il s’apprêtait à récolter», ajoute le sous-lieutenant de police.

Un agent procédant à la destruction du champ de cannabis…

Pendant son audition M. Bouliou déclare qu’il a obtenu les graines de cannabis à partir de Kayoro un village situé à une trentaine de kilomètres en territoire ghanéen. La drogue, révèle-t-il, allait être revendue là-bas après la récolte. L’opération qui a pris fin aux environs de 11 heures a permis la destruction des deux champs où un millier de plants de cannabis a été défriché selon le chef d’antenne régionale de l’Unité anti-drogue, le commissaire de police Daniel Bayala. Quant à Ouézikira Bouliou, il tombe sous le coup de la loi N°017/99/AN portant code des drogues en son article 44 qui stipule que : « Sont punis d’un emprisonnement de 10 à  20 ans et d’une amende de 5 000 000 à  25 000 000 de francs ou de l’une de ces deux peines seulement, ceux qui contreviennent aux dispositions législatives et réglementaires concernant la culture, la production, la fabrication, l’extraction, la préparation ou la transformation des drogues à  haut risque ». En attendant de comparaitre devant le parquet, il a été déféré à la Maison d’arrêt et de correction de Manga.

Du fait de l’étroitesse des magasins, une partie du cannabis saisi est entassée dans la cour de l’Unité anti-drogue.

                                Renforcer l’antenne régionale de l’Unité anti-drogue

L’antenne régionale de l’Unité anti-drogue de Pô est la toute première brigade créée en octobre 2017. Elle est entrée officiellement en fonction en janvier 2019. L’unité devait être basée à Manga, chef-lieu de la région du Centre-sud, mais pour des raisons stratégiques et géographiques, selon le commissaire Bayala, elle est basée à Pô pour mener des activités liées à ses différentes attributions. Elle a pour mission de lutter contre : la production, le trafic et la consommation de la drogue, les produits psychotropes, les médicaments de la rue, la cigarette frauduleuse et l’alcool frelaté.

Fonctionnelle depuis janvier 2019, l’antenne régionale de l’Unité anti-drogue enregistre une centaine de kilogrammes de drogue saisie.

Malgré le dévouement des agents, l’antenne régionale mérite davantage d’accompagnement de la part de la hiérarchie policière par l’augmentation des locaux. En effet, les magasins où sont stockés la drogue et d’autres produits psychotropes sont si exigus que le surplus de cannabis est entassé dans la cour de la brigade. Dès que le visiteur franchit la porte de cette brigade, il est frappé par l’odeur de la drogue au point de s’enivrer. De plus, des motos déjà en nombre insuffisant tombent régulièrement en panne lors des opérations, selon les occupants des lieux. La réponse à ces difficultés, peut contribuer à mettre fin à la consommation de la drogue à laquelle la jeunesse du Nahouri se trouve exposée.  Car, les campagnes de sensibilisation organisées dans les différents établissements scolaires de la ville ne garantissent pas à elles seules, l’efficacité de la lutte.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO

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